Janvier 2024, La Malbaie
Lettre ouverte – Témoignage de femmes ayant vécu des agressions à caractère sexuel et ayant passé par le système judiciaire.
L’équipe du CALACS de Charlevoix tient à souligner son appui à la démarche de reprise de pouvoir que ces femmes courageuses ont entamé en dénonçant des injustices vécues dans leur vie. Cette démarche s’inscrit dans nos objectifs du volet lutte et défense de droits de notre organisme. La lettre qui suit peut susciter des émotions difficiles pour les lecteurs et lectrices. N’hésitez pas à aller chercher du soutien ou à nous contacter pour de l’aide : 418-665-2999.
Il est mardi soir, des femmes se réunissent au CALACS de Charlevoix, car elles n’en peuvent plus. Elles se réunissent pour venir chercher du soutien, de l’écoute et de la bienveillance. Elles se réunissent dans le cadre du groupe de soutien se nommant ‘’de l’embrasement à la résilience’’. Elles ont toutes vécu des agressions à caractère sexuel et elles sont toutes passées par le système judiciaire…
«J’ai décidé d’affronter les fantômes qui ont volé mon enfance»
«J’ai 16 ans et j’ai été agressée à deux reprises par des hommes»
«Ils vont connaître les démons que j’ai, je vais me battre pour ma fille»
«Ils m’ont ramené sur les lieux de l’agression 1h après. J’ai pu me laver seulement 24h après.»
« Toutes ensemble, nous souhaitons, par cette lettre ouverte, transmettre notre besoin d’un système de justice adapté. Nous souhaitons faire entendre nos voix haut et fort, car elles ont été trop longtemps réduites au silence. Nous souhaitons que porter plainte devienne un moyen d’enlever une charge aux victimes, au lieu d’empirer leur état. Les droits des femmes sont encore trop bafoués et les tribunaux spécialisés sont trop longs à mettre en place. »
Ce n’est pas “juste porter plainte”
Le fait de dénoncer c’est énormément de travail pour les victimes. Nous investissons beaucoup de temps à se préparer : on prépare nos témoignages, on s’informe sur comment il faut agir et parler en cours, comment agir avec l’agresseur, qui regarder, comment s’habiller, et puis finalement on ‘’frappe un mur’’. On souhaite mettre en garde sur certains aspects du processus judiciaire qui sont, selon nous, désuets et dérangeants. Les questions des policiers, enquêteurs et procureurs, par exemple, qui nous font sentir comme si nous n’étions pas crues. Comment voulez-vous que je me souvienne de quelle couleur étaient les rideaux et si j’ai fait du bruit durant le temps où il m’a agressé? Ou si j’ai eu mal? La parfaite victime n’existe pas. On nous demande de nous souvenir de chaque petit détail, de ne pas nous contredire, d’avoir des preuves, des témoins. Quand nous n’avons pas tout cela, nous ne sommes pas crédibles aux yeux du système judiciaire. Nous demandons seulement à être crues et comprises.
Des peines et des sentences pas assez sévères
Nous dénonçons un système de justice qui n’est aucunement adapté aux victimes d’agression à caractère sexuel. Les peines et sentences ne sont pas assez sévères.
“Mon ex a écopé de 7 mois de prison pour avoir agressé ma fille et a pu sortir après 5 mois”
“J’avais 15 ans et lui 16. il a plaidé coupable … il n’as rien eu alors que moi j’ai vécu avec de graves conséquences “
“Le système normalise des choses anormales”
‘’Pourquoi les mineurs sont traités différemment dans les sentences qu’un adulte? Ce qu’ils font, c’est aussi grave. Ce n’est pas avec 3 rencontres en psychologie qu’on s’assure qu’il ne recommencera pas.‘’.
“Tu ne peux pas demander ça à une enfant!”
Le système de justice n’est pas adapté pour les jeunes. Demander à une ado de 14 ans de porter plainte, c’est une montagne énorme. Tout est difficile: la salle est froide, ça fait peur, c’est angoissant, on ne comprend pas.
“Je me suis fait demander comment j’étais habillée. J’avais 14 ans. Qu’est-ce que c’est censé changer dans le procès, de savoir comment j’étais habillée?”
“On m’a aussi demandé c’était quoi, pour moi, une relation sexuelle. Une agression sexuelle n’a absolument rien à avoir avec la sexualité de quelqu’un, c’est une prise de contrôle sur moi”.
“Demandez-nous à la place comment on se sent, essayez de vous mettre dans notre peau.”
“On nous promet du soutien, mais tout ce qu’on a ce sont des questions horribles et des procédures interminables “
Grand manque de pouvoir des victimes dans le processus judiciaire
« Quand nous témoignons, on ne peut pas dire ce qu’on veut. On a toujours l’impression de marcher sur des œufs, car nous ne devons pas offenser l’agresseur. »
“C’est ridicule, je ne peux même pas m’adresser à lui lors de mon témoignage.“
“Il ne faut pas que je choque celui qui m’a violée.”
“J’ai l’impression qu’il faut ménager l’agresseur”
‘’Nous sommes comme des marionnettes pour eux’’
“La justice protège les violeurs. N’ayons pas peur des mots, ils n’ont pas peur des actes “.
“Le système n’est pas adapté aux différences culturelles, c’est difficile de comprendre les étapes et mon rôle “
Des délais et des reports qui nuisent à notre guérison
Nous ne sommes pas prises en compte par les procureur.es. Ils ne nous consultent pas avant de poser une action dans le dossier. Nous ne sommes plus maîtres de notre plainte aussitôt qu’elle est déposée. Nous devenons des témoins de notre propre histoire. ‘’Trouvez-vous cela humain, vous?’’
“Il est passé 2 ans entre ma dénonciation et le procès, je suis prise avec ça constamment. Je ne peux pas tourner la page. Quand les dates sont toujours reportées, c’est moi qui écope, qui perds de l’argent et de l’énergie. Les délais sont toujours reportés. On se prépare à chaque fois, et à chaque fois, ça chamboule nos vies. Comment veux-tu te reconstruire si tu es encore pris là-dedans?”
“J’avais 14 ans, maintenant j’en ai 16, et j’attends encore… Selon les procureurs, je suis chanceuse, car normalement les délais sont plus longs. Chanceuse, vraiment? “
“Je ne peux pas passer à autre chose, car mon procès se déroule 3 ans plus tard… “.
Des histoires différentes, des conséquences semblables
C’est la faute à l’agresseur, et c’est nous qui devons vivre avec les conséquences, c’est nous qui devons travailler pour faire diminuer les symptômes post-traumatiques.
“Cette femme que je ne connais pas, qui a vécu une agression sexuelle, elle vit les mêmes émotions par rapport au système de justice que moi”
“Les actions posées par les agresseurs peuvent avoir des conséquences dévastatrices dans la vie de la victime. Il est difficile pour une personne qui se déteste elle-même de sortir du déni, d’accepter son passé et de trouver de l’aide. Malheureusement, les victimes subissent souvent plus de conséquences que les agresseurs qui admettent leur culpabilité. Cette injustice dans le système judiciaire peut être décourageante pour une femme qui essaie de se reconstruire depuis des années sans succès, alors que la faute revient clairement à l’agresseur. C’est une réalité difficile à accepter, mais également à traverser pour nous toutes “.
Pas d’accompagnement pour les proches des victimes
« En tant que mère d’une victime d’agression sexuelle, je partage avec vous mon expérience et mes préoccupations quant aux procédures actuelles et au manque de soutien pour les proches des victimes. Je souligne d’abord l’importance cruciale du rôle du système de justice dans la protection des droits des victimes et dans la poursuite de la justice. Consciente des défis complexes auxquels vous êtes confrontés et de vos efforts à garantir un processus équitable et impartial, je souhaite toutefois attirer votre attention sur certaines lacunes qui ont un impact considérable sur les proches des victimes.
Lorsque mon enfant a été victime d’une agression sexuelle, mon monde s’est effondré. Nous avons été confrontées à une douleur inimaginable et à une détresse émotionnelle profonde. Dans ces moments difficiles, nous avons espéré trouver du soutien et de l’accompagnement de la part du système de justice. Malheureusement, nous avons été déçues.
Les procédures judiciaires auxquelles nous avons été confrontées étaient souvent longues, complexes et épuisantes. Nous avons dû faire face à de multiples auditions, à des interrogatoires pénibles et à des délais prolongés. Cette lenteur et cette complexité ont eu un impact dévastateur sur notre santé mentale et notre capacité à se reconstruire après cette épreuve traumatisante.
De plus, nous avons ressenti un manque de soutien de la part du système de justice. Nous avons été laissées à nous-mêmes, sans ressources adéquates pour nous aider à traverser cette épreuve. Les services d’aide aux victimes étaient insuffisants et difficiles d’accès, ce qui nous a laissées dans un état de vulnérabilité et d’isolement. »
« On vous implore de prendre en considération ces préoccupations et de mettre en place des mesures pour améliorer le soutien aux proches des victimes d’agressions sexuelles. Il est essentiel de reconnaître votre rôle crucial dans le processus de guérison et de nous offrir les ressources nécessaires pour faire face à cette épreuve. On vous demande également de veiller à ce que les victimes et leurs proches soient traitées avec respect, empathie et compréhension tout au long du processus. »
Importance d’un groupe de soutien en agression sexuelle
“Ce qui m’a aidé le plus c’est d’être dans un groupe. Quand je viens, on est toutes ensemble, on se comprend, il devrait y en avoir plus, ça ne devrait pas être tabou de venir chercher de l’aide en agression sexuelle.’’
“J’ai hâte d’être le mardi soir pour être avec des femmes qui me comprennent “
“Dans la région, le CALACS de Charlevoix et la Maison la Montée sont des ressources essentielles pour les victimes. Elles m’aident vraiment.”
‘’Le groupe de soutien du CALACS de Charlevoix a comme objectif de reprendre du pouvoir sur sa vie. En dénonçant toutes ensembles des éléments de processus judiciaire, nous reprenons un peu de pouvoir sur nos histoires. De l’écrire nous permet de communiquer et de concrétiser notre rage, notre colère.’’
Éduquons-nous collectivement!
La prévention est tellement importante. Une mauvaise éducation sexuelle fait partie d’un gros problème dans notre société. Les agressions à caractère sexuel en sont une conséquence directe.
“Dans les cours d’éducation à la sexualité, apprenez-nous à dire non, mais aussi à recevoir un non, apprenez-nous comment respecter et faire respecter un consentement.”
Le fardeau est encore à la personne victime de s’affirmer plus au lieu des personnes à demander ET à respecter un consentement.
« Un grand merci », message du CALACS aux victimes
Nous souhaitons remercier infiniment les participantes du groupe de soutien – De l’embrasement à la résilience – qui ont eu l’idée de faire ce projet. Elles avaient envie de se faire entendre et ont accepté de dénoncer, d’être encore une fois extrêmement courageuses et fortes dans l’écriture de cette lettre. Vous êtes une inspiration pour nous au quotidien!
Merci également à la mère d’une des participantes qui a accepté de prêter sa voix pour parler des conséquences chez les proches de la victime lors d’une agression à caractère sexuel, et du manque de soutien. Vos voix sont tellement importantes.
Merci à tous les lecteurs et lectrices qui prendront le temps de lire cette lettre, et peut-être de prendre conscience que de parler et de libérer sa parole est une étape importante pour la guérison des victimes. Notre souhait le plus cher est que les choses changent et que les gens soient sensibilisés.
* La lettre ouverte a été rédigée de façon anonyme afin de respecter la confidentialité des femmes.
Le CALACS de Charlevoix tient aussi à mentionner que malgré les histoires difficiles et pénibles que ces femmes dénoncent, il y a aussi des passages dans le système judiciaire qui se déroulent bien. Si vous souhaitez porter plainte, ou pour avoir plus d’informations sur les changements mis en place dans l’accompagnement des victimes dans le système de justice via le Tribunal spécialisé, vous pouvez contacter la ligne info DPCP violence conjugale et sexuelle : 1-877-547-DPCP (3727).
Pour toute autre demande :
- De mobilisation ou d’action de lutte;
- D’entrevues;
- D’aide, d’écoute, d’information;